Trois ans après, les taux de rémunération du streaming ont-ils évolué ?

C’est certainement inéluctable, les plateformes de streaming deviendront les premiers diffuseurs de musique enregistrée. Les rémunérations qu’elles génèrent augmentent progressivement. Mais est-il raisonnable d’envisager que les revenus engendrés puissent remplacer les ventes de CD?

combien-sont-reellement-paye-les-artistes-sur-leurs-ventes-dalbums-4372Vous vous en souvenez peut-être, il y avait eu, entre mi 2009 et début 2010 un mini scandale et une série d’articles liés à propos des très faibles rémunérations payées par les sites permettant d’écouter légalement de la musique en streaming.

Spotify avait été particulièrement montré du doigt après que Lady Gaga se soit publiquement plainte d’avoir touché, pour plus d’un million d’écoutes de son tube d’alors sur ledit Spotify, des droits se montant au total quelque peu risible de 167$ (source).

2009: De jolis pâtés roses pour comprendre

A l’époque, j’étais tombé sur une infographie qui résumait assez bien le problème (voir image de droite). On peut y voir les rémunérations types des différents modes de vente et diffusion de la musique enregistrée, du CD vendu à la fin du concert au streaming sur Spotify et autres. Les disques magenta servent à comparer, via leur surface, le nombre de ventes/diffusions nécessaires pour générer le salaire minimum aux Etats-Unis, soit 1160$. (source)

Si les données précises sont sujettes à caution lorsqu’elles considèrent une répartition label/artiste (Lady Gaga par exemple n’avait touché que la part « artiste », laquelle dépend du contrat signé avec sa maison de disque), il reste que les différences d’ordres de grandeur sont pour le moins éloquentes!

Entre le total généré par Spotify pour 10 écoutes (équivalent d’un album) et ce que rapporte la vente d’un album sur CDBaby, on atteint un rapport de 350! Ce n’est pas clair? Prenons un cas concret alors…

Le cas de Spotify: un exemple concret

Plutôt que de prendre le salaire minimum comme référence, je vais préférer imaginer une auto-production jazz serrée en budget: disons 5000€ tout compris pour réaliser un album de 10 morceaux.

Evidemment, à ce compte là, aucun musicien n’est payé, ni pendant la préparation, ni lors de l’enregistrement de l’album. Avec 5000€ pour faire un album, on a grosso modo de quoi se payer 2 ou 3 jours de prise de son, autant de mixage, et le mastering. Tout le reste (visuels, communication, etc.) devra être fait maison!

Petits Calculs d’Apothicaire

Donc en 2009,  vous pouviez espérer toucher, pour chaque diffusion d’un de vos morceaux sur Spotify, 0.0017+0.00043 = 0,00213$. Ce avant toute répartition producteur/artiste. Sauf que, si vous n’aviez pas de label, impossible d’accéder à Spotify sans passer par un intermédiaire comme CDBaby par exemple, lequel, en plus de vous faire payer un droit de passage de 49$ pour chaque album uploadé, vous prendra une commission de 9% de vos droits.

Ramasse-miettesRestait donc environ 0,002$ par écoute d’un morceau.

Pour retrouver la mise de départ de 5000€, soit 6500$, il fallait donc environ: 6500 / 0,002 = 3 250 000 écoutes d’un morceau, soit 325 000 écoutes de l’album au complet.

En admettant que chaque auditeur écoute l’album 10 fois en moyenne (c’est optimiste), cela demanderait donc que plus de 32500 personnes aient écouté 10 fois l’album!

Vous avez déjà vendu 30000 albums, vous?

Même en gardant à l’esprit que le côté « illimité » du streaming fait que l’on écoute plus de musique, c’est un pari plutôt ambitieux pour des musiques non mainstream!

Et le bât blesse particulièrement si l’on compare cette situation à celle où l’on vend simplement des CDs à la fin des concerts! Dans ce dernier cas, il faut évidemment ajouter aux coûts de départ le pressage des disques (entre 1 et 2€ par CD), mais même ainsi, la mise de départ est retrouvée en moins de 750 CDs vendus 10€ ! Et les 250 CDs restant des 1000 pressés feront du bénéfice net!

Mais au fait, pourquoi Spotify rémunèrait-t-il aussi faiblement?

Opacité et Secret sont visiblement de maîtres mots chez Spotify (et les autres), impossible de trouver des valeurs moyennes officielles sur leur site ou ailleurs. Ce qu’ils disent en revanche, c’est qu’ils reversent 70% de leurs revenus sous forme de droits d’auteur.

vache-à-laitEn gros, si ils gagnent X € via la publicité, ils partageront 70% de X entre tous les morceaux, au prorata du nombre d’écoutes.

Autrement dit, un streameur rémunère en fonction de ce qu’il gagne, c’est à prendre ou à laisser! Si la pub ne rapporte pas beaucoup, eh bien, vous aurez moins de droits pour un même nombre d’écoutes!

Pour avoir une idée d’à quel point les rémunérations peuvent varier, jetez un oeil à ce document (lien) mis en ligne par la violoncelliste Zoë Keating. Elle y détaille ses revenus numériques d’octobre 2011 à Mars 2012. Vous verrez que les montants unitaires peuvent varier d’un facteur de 100!

Juste un petit parallèle: vous imaginez-vous ce que serait un monde où tout fonctionnerait selon ce principe? Ne serait-ce point formidable?

Allô, Bouyrangefer? Oui, bonjour, alors voilà, je me suis dit, pour mon abonnement téléphonique professionnel, je vais vous payer en fonction du chiffre d’affaire que j’arrive à générer avec mon téléphone. Comme ça, les mois où je n’ai pas beaucoup de travail, eh bien, ça ne me coûtera pas cher de téléphoner (même beaucoup), et les mois fastes, promis, je vous donnerai plus! Allô? … Allô? Ben, pourquoi vous rigolez ?

Si le concept est, euh, disons, intéressant, je ne suis pas certain que les musiciens et compositeurs soient totalement d’accord avec l’idée d’être des business angels pour Spoteezer… en revanche, j’ai assez peu de doutes sur le fait que Bouyrangefer ne sera pas exactement d’accord pour que je fasse de même avec eux!

chiens et chatPeut-être comprenez-vous mieux maintenant pourquoi certains labels ou groupes d’envergure planétaire ne sont toujours pas sur Spotify? En vérité, les majors négocient secrètement avec les plateformes de streaming, et chacune a des taux de rémunération différents (et secrets, donc!). Mais vous, si vous êtes indépendant (et donc petit), vous n’aurez pas droit au chapitre, et vous prendrez ce qu’ils veulent bien vous laisser!

Drôles de pratiques que tout cela, vous en conviendrez, mais en même temps, si vous regardez qui est à l’action derrière une plateforme comme Spotify, vous trouverez, entre autres, un certain Sean Parker, qui avait fondé, il y a près de 15 ans, un site nommé Napster… Visiblement, chez Spotify, il y a du monde qui s’y connait question respect des droits d’auteurs!

Bon, et aujourd’hui, comment rémunère Spotify?

Trois ans plus tard, et à l’heure où Spotify est justement en train de négocier avec les maisons de disques le renouvellement de ses accords de licence, où en sont les rémunérations par écoute? Eh bien, accrochez-vous, car cela ne s’est pas simplifié avec le temps!

Depuis 2009, Spotify a fini par revenir (un peu, et c’était pas trop tôt) de l’idée que le modèle bancal du soit disant tout « gratuit » financé par la publicité pouvait être rentable. Ils ont donc, comme Deezer, Qobuz et d’autres, mis en place des abonnements payants (4,99€ et 9,99€ par mois), qui permettent d’écouter sans publicité.

moutonduSpotify affirmait par ailleurs en 2012 que leur taux moyen de rémunération avait doublé depuis le début de leur histoire (2008).

Oui mais, la rémunération d’une écoute en streaming est différente si elle a été réalisée par un abonné payant ou non, avec en plus une différentiation pour les abonnés via « bundle » (par exemple via le partenariat orange/deezer)!
Je vous avais prévenu que ça n’allait pas être simple!

Sinon, vous avez bien lu, pour les plateformes de streaming, une même musique vaut moins lorsqu’elle est « financée » par la publicité que par un abonnement mensuel!

Selon une étude récente de l’Adami (source), aujourd’hui les rémunérations moyennes du streaming seraient de l’ordre de:

  • Streaming « gratuit »: 0,002€ par morceau écouté
  • Streaming « bundle »: 0,04€ par morceau écouté
  • Streaming « premium »: 0,08€ par morceau écouté

Nous retrouvons donc, au millimètre près, les estimations de 2009 pour la version « gratuite » financée par la pub! Pas de belle surprise de ce côté là. En revanche, les rémunérations annoncées pour les versions payantes s’annoncent plus intéressantes.

mathshadSi je reprends mon exemple de tout à l’heure, en imaginant (Ô! Paradis!) qu’il n’y ait que des abonnés payants, à raison de 50% de « bundle » et 50% de « premium », cela nous donnerait une rémunération moyenne de (0,04+0,08) / 2 = 0,06€, auxquels il faut retrancher la commission de CDBaby (environ 10%).

Reste donc 0,055€ par écoute. Autrement dit, il faudra 5000 / 0,055 = 90 000 écoutes environ pour revenir sur l’investissement de départ. Ce qui est équivalent à 9 000 écoutes de l’album complet, ou encore 900 auditeurs l’écoutant 10 fois.

Cela commencerait à ressembler à des nombres un peu plus proche d’une réalité éventuellement atteignable, non ?

Nous sommes, certes, toujours en dessous de la formule « CDs vendus en fin de concert », mais dans un ordre de grandeur similaire! Evidemment, pour en arriver là, il a fallu quelque peu idéaliser la situation…

Mais prenons plutôt la situation actuelle, chez Spotify par exemple, où nous trouvons 24 Millions d’utilisateurs, dont 6 Millions d’abonnements payants. En admettant qu’ils utilisent tous la plateforme de la même façon, on peut calculer la rémunération moyenne potentielle: ( 0,002 x 18 + 0,08 x 6 ) / 24 = 0,0215 € par écoute. Moins la ponction de CDBaby (vous l’aviez oubliée ? ;-) )!

TrouverXResterait donc 0,0195 € par écoute. Allez, osons dire que le Prince Spoteezer, dans sa grande mansuétude, vous arrondit tout ça à 0,02€ par écoute! Soit, si tout cela est vrai, mieux que 10 fois plus qu’il y a 4 ans! En même temps, ils partaient de si bas…

Vous auriez alors besoin de 5000 / 0,02 = 250 000 écoutes, soit 25 000 écoutes de l’album de 10 titres, ou 2500 auditeurs l’écoutant 10 fois.

Moins sexy que le scénario précédent, il est vrai! Mais néanmoins plus si loin d’une vraie lueur d’espoir! Au train ou Spoteezer recrute de nouveaux abonnés, tout cela pourrait bien finir par devenir relativement décent. Mais pour cela, il faudra surtout que, au-delà de seulement agrandir la base d’utilisateurs, ils arrivent à faire monter sérieusement la proportion d’abonnés « premium »!

Reste que même s’ils y parviennent, tout cela aura été fait en se servant allègrement de la musique (et donc de celles et ceux qui la produisent) comme de la chair à canon!

Nous pouvons donc conclure que…

…ce n’est pas tout-à fait gagné, mais qu’on en est moins loin! Et vu l’état de la création musicale enregistrée, il serait temps!

S’il ne fait aucun doute pour moi que le streaming deviendra la norme d’ici peu, et certainement pour le plus grand confort des utilisateurs (il n’a jamais été aussi facile d’avoir accès à la musique enregistrée), de nombreux problèmes sous-jacents persistent, entre autres:

Spotify-Deezer

  • Pour les heureux (?) signés dans une maison de disque, la plupart du temps les répartitions des droits issus du numérique sont encore très défavorables pour l’artiste, au profit du producteur (cf rapport de l’Adami)
  • L’immensité des catalogues des généralistes est un facteur de dilution des droits générés, tout en noyant l’utilisateur, dont le comportement sera nécessairement plus « volage »
  • Le recours à l’auto-production uniquement en dématérialisé interdit l’accès à certains dispositifs d’aide (qui exigent une distribution physique)

 

Pour finir sur une note plus positive, il ne faut pas oublier certains acteurs dont la démarche est différente.

qobuzQobuz par exemple propose des abonnements uniquement payants, et met l’accent sur une qualité audio supérieure et sur un véritable travail éditorial, tout en développant un catalogue plus spécialisé, donc plus approfondi (jazz et musique classique tout particulièrement). Leurs abonnements sont plus chers (et les rémunérations aux ayants-droit plus fortes), mais ce sont les seuls à proposer le streaming en vraie qualité CD!

Ce type de démarche me semble véritablement intéressant (ce n’est que mon avis personnel), j’espère qu’il trouvera un large public. Sans quoi, les indépendants et les auto-produits continueront encore un moment à être les dindons de la juteuse farce mitonnée par les nouveaux rois du business de la musique…

N’hésitez pas à donner dans les commentaires votre ressenti et/ou votre vécu quand à ces problématiques. Si vous êtes musicien, compositeur, auto-produit ou non, votre retour sur les rémunérations que vous obtenez via ces services serait très utile! Merci!

PS: Evidemment, tous ces calculs sont imprécis (encore une fois, il n’y a pas de valeur fixe de rémunération!), et ne servent qu’à donner une idée des ordres de grandeur et à comprendre dans quelle proportion ils ont varié.

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